Conversation avec Franck Pellegrino

Mots de Gino Delmas – Photos de Matteo Verzini

Attablé dans un café parisien du deuxième arrondissement, l’artiste Franck Pellegrino pourrait parler chiffon pendant des heures. « L’histoire de ma vie », s’enthousiasme-t-il.

Illustration, peinture, tatouage, ce trentenaire aime varier les médiums et entremêler typographies, aplats de couleurs et formes abstraites. Depuis quelques années, il transpose sa démarche sur un nouveau support, le textile.

Il a imaginé pour le salon deux compositions texturées et poétiques qui campent la campagne MAN FW22 et WOMAN FW22. Et comme le garçon aime aller au bout des choses, il va prolonger ces créations sur une collection de pièces uniques à porter qu’il dévoilera dans sa prochaine exposition en mars.

Rencontre avec un passionné.

Quelle est la genèse de la collaboration avec MAN/WOMAN ?

J’ai découvert le salon en 2017, par le biais de Kyle Kivijärvi d’Adsum, un ami rencontré à New York quelques mois avant. Je l’ai retrouvé à Paris au salon MAN à la Montgolfière, juste à côté du canal Saint Martin. Et après j’ai rencontré Antoine (Floch, co-fondateur du salon) par un ami commun quelques années plus tard.

 

Il y a deux ans, ma femme a collaboré avec eux sur le salon WOMAN, nous avons donc discuté sur le fait de travailler ensemble sur l’année 2022. Le process a été super simple, ils m’ont donné le cadre, un artwork pour chacun des deux salons à venir et ensuite ils m’ont laissé carte blanche. 

Raconte-nous la démarche autour de cette série utilisée pour les campagnes MAN/WOMAN ?

Juste avant le Covid j’ai eu envie d’évoluer dans ma direction artistique, et de revenir à une pratique artistique encore plus manuelle, presque de l’ordre de l’artisanat. De la peinture au textile, la métamorphose de mes médiums s’est faite naturellement. Je ressentais cette envie de retrouver dans mon art un côté proche du geste et de l’outil.

 

Le textile a toujours joué un rôle important tout au long de ma vie, de près ou de loin, mes jobs m’en ont toujours rapproché. Pour ce projet, l’important pour moi était de faire ressentir la matière seulement par le visuel, de créer du volume en assemblant des tissus venant de différents horizons : ripstop militaire, denim français, velours côtelé vintage, ou encore du coton recyclé. Autant de matières dont j’aime le contact et qui se retrouvent dans les collections des marques du salon.

 

Tout cela en jouant des couleurs de la saison et des codes graphiques des deux villes représentées. Il y a deux pièces, une pour le salon MAN de New York (dates) et une pour le WOMAN à Paris (dates), avec chacune ses jeux de matières, sa colorimétrie, et ses compositions typographiques.

 

Je voulais vraiment redonner à ces matières une idée de mouvement, de flottement, qui donne vie à l’œuvre car le tissu est une matière vivante à mes yeux. Une troisième pièce plus grande viendra sous forme d’installation, destinée à être suspendue dans le salon, comme un étendard.

Quel rapport entretiens-tu avec le vêtement ?

C’est une des histoires de ma vie. Adolescent dans les années 1990, la golden hour du hip-hop et du graffiti. Le skateboard, aussi, que j’ai beaucoup pratiqué, et où le vêtement était aussi important. La période 1995-2000 m’a vraiment marqué dans mon approche du style. Mes classiques viennent de cette époque-là.

 

Mes premiers jobs étaient dans le vestimentaire, et plus précisément autour du jeans. Cette période m’a appris les codes de ce milieu, la technique, la façon, la toile, les matières. En parallèle ce qui m’animait le plus c’était le dessin, la peinture, créer, j’y ai passé mes nuits entières après le boulot jusqu’au jour où mon univers artistique a pris forme et que j’y ai consacré ma vie entière.

 

Mon développement artistique s’est toujours fait en parallèle de l’outil, que ce soit le spray, le pinceau, la machine à tatouer et aujourd’hui la machine à coudre. Depuis un peu plus de deux ans, je me suis installé dans un atelier dans le quartier du Sentier (historiquement le quartier des grossistes de tissu à Paris, ndlr), l’endroit parfait pour se fournir en matière textile.

 

J’apprends un nouvel outil de manière autodidacte, j’ai soif de connaissances dans ce milieu, je fais des rencontres, je tape aux portes et je tisse des liens entre les différentes expériences qui ont forgé mon esthétique.

 

Le tissu en tant que matière organique m’apprend à rester humble face à la création, je ne suis plus seule ma machine joue un rôle, elle a « sa » patte. J’aime que le tissu vive et réagisse à sa manière.

Tu as un souvenir particulier lié au vêtement ?

Je me revois vendre des jeans Levi’s Vintage Clothing dans la boutique dont j’étais responsable dans le sud de la France et presque 10 ans plus tard, la même branche vintage de Levi’s me contacte pour représenter la marque en tant qu’artiste pour un projet. La boucle était bouclée ! 

Tes pièces fétiches ?

Il y en a beaucoup trop ! Les débardeurs blancs sous mes t-shirts blancs, notamment ! La 3-eye de Timberland, les Wallabees de Clarks ou les Cortez de Nike presque en toutes les couleurs (rires). J’ai toujours accordé de l’importance aux détails, allié le classique masculin au sportswear. Une marque qui m’inspire beaucoup comme Ralph Lauren se situe dans cet équilibre, surtout avec l’influence nautique. J’ai grandi au bord de la mer, ça m’a parlé tout de suite.

Quelles marques t'intéressent aujourd'hui ?

Entre collections limitées à partir de pièces recyclées et vintage chiné, mon poto Brut Clothing est dans le mille ! 

Peux-tu nous parler un peu des vêtements que tu produis en ce moment ?

Je bosse sur ce nouveau projet depuis deux ans. Sur Instagram tu n’as pas toutes les dimensions sensorielles, c’est toujours bien de montrer les choses en physique.

 

En mars, je vais exposer, en plus de mes œuvres textiles, ma première vraie collection d’œuvres à porter. Une façon à moi de faire vivre la toile au-delà du mur, de la faire voyager à son tour. Comme les voiles d’un bateau, mes œuvres vont quitter le cadre, prendre le large, se suspendre dans l’espace et s’inviter dans un rapport plus intime on va dire.

 

Ce seront des pièces uniques, cousues main, chacune racontera sa propre histoire, chargée de la mémoire des tissus qui la compose mais aussi chargée de mes expériences de vies et de mes voyages. J’ai hâte de découvrir les interactions physiques des gens avec ces pièces. De placer le vêtement au rang d’œuvre d’art, à l’encontre d’un monde qui consomme la sape de manière frénétique et de rendre compte que chaque pièce que l’on porte peut elle aussi avoir sa propre histoire, sa propre vie. 

Merci Franck!

Découvrez son travail sur sa page instagram et sa première campagne pour le MAN/WOMAN NY AW22 ci-dessous